Comme l’art d’un lanceur de javelot, d’un sauteur de haies, d’une nageuse ou d’une joueuse de tennis de haut niveau, le travail pictural d’Hélène Jacqz lui demande préparation, réflexion et concentration. La réussite ou l’échec se jouent dans l’action, en un instant, et tiennent à la réponse spontanée à une situation donnée, en partie imprévisible.
D’ailleurs, Hélène ne s’en cache pas, une certaine impossibilité physique à poursuivre professionnellement le sport et la danse, voilà précisément ce qui l’a conduite à cette forme de peinture étiquetée au fil des ans, peinture gestuelle, action painting, tachisme ou dripping.
J’ai déjà écrit sur l’étonnante métamorphose qui, au terme d’un séjour d’étude de plusieurs années à New York, a fait passer Hélène d’une figuration néo-impressionniste – où en tant que débutante, elle excellait – au libre jeu de formes abstraites (ou plus exactement « concrètes »), sur le miroir de la toile blanche, tendue comme une interrogation toujours renouvelée.
Devant sa toile, Hélène se retrouve Don Quichotte et Sancho Pansa, intrépide et peureuse à la fois ; il lui faut résister à la petite voix insidieuse qui suggère que les attaquants féroces de sa Dulcinée (son idéal de douceur, de lumière, de calme et de beauté) ne sont peut-être que de vulgaires moulins à vent.
Comme beaucoup d’autres artistes, et notamment d’acteurs et de musiciens, Hélène doit affronter cette forme sournoise du doute de soi qu’on appelle le trac. Cela prouve qu’elle est à la recherche d’une expressivité authentique, et ne se satisferait pas d’utiliser des procédures techniques indéfiniment reproductibles.
Une différence très nette se lit entre les œuvres de 2005 et de celles de 2008. Dans les plus anciennes, souvent très réussies, il règne une lumière paisible, un équilibre des formes et un climat méditatif qui ne laissent rien paraître de l’angoisse qui a parfois accompagné leur naissance. L’impressionnisme abstrait de gouaches comme « Printemps » et « La Roche aux fées », ou de toiles de très grande taille comme « Allegria », « Pacotille » ou « Dentelle », toutes de 2005 – soutient la comparaison avec l’œuvre de grands artistes américains comme Sam Francis et Helen Frankhenthaler.
Mais les œuvres les plus récentes, celles de 2008, sont celles qui personnellement m’enthousiasment le plus. Elles sont gestuelles et s’affirment avec une évidence irréfutable, comme le jet d’une fontaine ou le bouquet d’un feu d’artifice, générant assez d’énergie pure pour pulvériser tous les doutes et dissiper les ombres et la grisaille.
J’ai eu le grand plaisir d’avoir sur un mur de ma chambre, pendant plusieurs années, une toile d’Hélène principalement occupée par un grand mouvement rouge et noir. Un simple geste sans repentir ni fioriture, s’offrant au regard avec la simplicité d’une chose organique, naturelle, avec l’évidence d’une fleur ou d’une plante. En 2007, j’ai eu l’idée de lui proposer un défi : peindre en public pendant la lecture de poèmes d’un grand auteur japonais qui nous est cher (publiés aux Editions « Caractères » à Paris sous le titre de « Pétales au vent »). Le procédé n’est pas nouveau, mais Hélène n’a pas accepté d’emblée ni de gaîté de cœur. Pourtant, en cinq minutes pendant la lecture d’un poème intitulé « Herbes », et en trois minutes, pendant celle d’un autre intitulé « Thème » (alors qu’elle était accompagnée par son mari Vincent Jacqz à la trompette), elle a réalisé deux toiles de grand format qui à mes yeux constituent son véritable « passage à l’action ».
Il ne s’agit pas d’enfermer Hélène dans une manière, si réussie soit-elle, au détriment des autres. Peinture, musique et littérature ont en commun d’offrir un terrain dans lequel l’imagination d’un artiste peut exercer ce que la romancière Elsa Triolet appelait sa « liberté de Dieu le Père », celle de créer un monde régi par les seules lois que l’artiste veut lui donner. Sans présumer de l’étape suivante, j’ai plaisir à saluer, dans la récente production d’Hélène Jacqz, la continuation d’une forme de peinture que le critique d’art Patrick-Gilles Persin, dans une exposition organisée au musée du Luxembourg d’avril à août 2006 à Paris, appelait avec pertinence « L’envolée lyrique ». C’est une forme d’expression dont Hélène Jacqz prouve avec bonheur qu’elle n’a rien perdu de sa fraîcheur ni de sa modernité.