Les mots du quotidien semblent trop maladroits et lourds pour les peintures d’Hélène Jacqz. Quand on veut en parler, on a l’impression d’avoir des sabots aux pieds alors qu’il faudrait valser, tourbillonner, s’envoler. Il faudrait le talent d’un poète ou le phrasé d’un maître du jazz pour leur trouver une juste équivalence.
Tout y est upside down, way in et way out. C’est la version abstraite du topsy-turvy, on ne sait plus si ce qu’on voit, c’est la moustache ou si ce sont les sourcils d’un génie des mille et une nuits ; si c’est l’écume de la mer s’écrasant contre les rochers ou simplement des giclures de la bombe à raser. Hélène nous balance des évidences plein les mirettes. Oui, on peut dire sans mentir qu’elle nous en met plein la vue ! Des jaunes, des bleus, des rouges, des mauves et des blancs d’une pureté confondante, qui dansent ensemble, s’entrechoquant parfois mais sans jamais s’écraser, sans perdre leur individualité. Jusqu’aux fines gouttelettes aspergées qui forment le cercle parfait d’un anneau de fumée ! Les formes se chevauchent, s’accostent et se coudoient dans un joyeux charivari sans jamais sombrer ni dans l’obscurité ni dans la confusion. Ses toiles sont habitées par le rythme et la lumière. Si vous croyez que j’exagère, allez-y, regardez. Et comparez. Peu de peintres savent allier, avec autant de sûreté, l’équilibre et le déséquilibre, la construction et l’abandon à l’impulsivité. Dites-nous ce que vous y voyez, et nous saurons à quoi vous rêvez. Des châteaux de sable emportés par l’océan ? Des palais féeriques, construits sur la banquise, entraperçus par une déchirure dans les nuages ? Souvent des choses beaucoup plus concrètes : le « smatch » qui au Volley-ball trouve la juste trajectoire qui précipite le ballon dans l’espace vacant de l’équipe adverse.
L’art contemporain m’a parfois fait penser à ce conte d’Andersen où des escrocs vendent très cher, à un empereur victime de la mode, un tissu invisible aux sots. Personne n’y voit rien, mais personne n’ose le dire de peur de passer pour un sot. Au contraire, je vois chez Hélène Jacqz un engagement et une sincérité qui entraînent ma totale adhésion. Elle me rappelle une fable orientale qui illustre de façon troublante comment l’esprit, la volonté, l’intention, ont parfois le pouvoir de pénétrer la matière inerte. Un prince chinois voit sa mère tuée par un tigre. Quelques jours plus tard, il croit reconnaître ce tigre au détour d’un fourré. Il tire alors contre lui une flèche avec tant de force et d’intensité qu’il est persuadé de l’avoir tué. En réalité, sa flèche n’a atteint qu’un rocher. Mais lorsqu’il s’approche, il découvre que son désir de venger sa mère avait été si fort que sa flèche a transpercé la roche.
Pour Hélène Jacqz, tous les moyens sont bons – des pinceaux de toutes tailles, fins comme la queue d’un âne ou larges comme des balais brosses. Mais lorsqu’elle peint, son désir de toucher le cœur des autres est si fort que je crois ses tableaux capables de toucher même des cœurs de pierre.