Manoelle Bouillet (Auteur)- Mars –2010 à la Galerie Cadain

Le tableau sur la droite
c’est immédiat
saisie
Je pense synapse et, collapse
quelque chose qui se passe
chute
montée de larmes

Je ne peux rien dire
un monde m’apparaît
se présente à moi
qui me parle
de moi ?

Lâchés de matière et de couleurs
qui rendent visibles
des mouvements dont je n’ai ni le temps, ni l’espace
de « voir » la force, au quotidien.
Micro-déplacements de l’origine
Pelote de neige
Le tableau amorce
le germe de l’avalanche

Le tableau pourrait-il me retenir à l’infini ?
Sans doute, il y aurait un temps où il me laisserait partir pour le suivant. Comment le savoir ? Je ne lui accorde pas ce temps je pars avant pressée d’émotions que j’aurais peine à contenir si je restais plus longtemps. Je ne peux pas pleurer, je veux dire à la manière d’Alice, je ne peux pas crier, je ne peux pas danser ce serait indécent, je ne peux pas rire. Je m’écarte.

Je suis heureuse d’être « pauvre », j’aurais peine à choisir. Selon l’état de moi dans le monde, j’aurais besoin de traces d’hiver, de sans titre, de printemps. Quand même, j’imagine. Un tableau, chez moi, sur le mur blanc. Avec le risque qu’il devienne un objet du décor ? C’est un risque non ? Il me semble que ces tableaux là mouraient plus que d’autres d’être abandonnés au clou. Il me semble qu’ils ne se laisseraient pas abandonner. Toujours je navigue entre force et fragilité.

L’étage du bas. La lumière jaune empêche l’apparition des subtilités de couleurs. Perte d’une dimension. Je ne suis pas mécontente. Occasion pour calmer l’ouragan. J’écoute l’artiste qui parle de ses doutes, de son incapacité à peindre depuis 1 mois. Happée à l’extérieur par l’exposition. Elle parle de son choix d’avoir accroché des oeuvres récentes, son travail changeant d’une année à l’autre, d’un mois à l’autre, d’une semaine à l’autre, d’une toile à l’autre…

Retour à l’étage
le tableau de droite
n’est plus
à sa place.
Là où tout à l’heure
mon corps, mon esprit mon âme
ma rage, ma vie, sa grandeur, ses limites
polyphonie agitée
Maintenant
une porte
fermée

Je n’y suis plus
Inutile le bélier.

Dur cette matière qui se refuse.
Magnifique cette protection amie
sur mon coeur
cette couverture mère qui  adoucit
mais sépare de ce qui me donne à lire
l’instant
le fugitif
le tropisme
la fluctuation

Si ça se fige, qui se fige ?
Moi ou lui ?
Nous ensemble
Lui au mur
Moi devant
dans ce temps

Puissance et fragilité
Ouverture fermeture
Feindre, jouer, déjouer
pour embarquer de nouveau
Un pas de côté
Le tableau d’à côté
Tomber la couverture
je m’aventure
nue
recommencer comme la première fois
c’est cela qu’il exige de moi
car il est né de cette exigence là

Ces couleurs là
Cette matière là
lâchée, jetée, coulée
geste tâches
temps canalisé sur la toile
flux de vie
vient vers moi
moi vers lui
dans un mouvement d’innocence
La deuxième fois déjà
l’innocence est entamée
Mon travail, en miroir de celui de l’auteur du geste
est de retrouver, à chaque regard, le chemin de l’innocence
et repartir, encore
dans une nouvelle toile de vie.