magazine culturel franco japonnais Petites feuilles n°9-http://www.artlevant.com/
» Je ne crois pas à l’originalité. Je crois par contre à la personnalité à travers tout langage, toute forme, toute direction de la création artistique « . Pablo Neruda
Pourquoi cette citation sur votre site ?
Il y a une dizaine d’année j’ai trouvé cette pensée en lisant les mémoires de Pablo Neruda. Je l’ai retenue car elle synthétisait mes réflexions sur ce que je recherchais en tant qu’artiste. Permets-moi pour m’expliquer de citer aussi Tolstoi :
« Pour donner de l’art une définition correcte, il est nécessaire de cesser d’y voir une source de plaisir, pour le considérer comme une des conditions de la vie humaine. »… « L’art est un des moyens qu’ont les hommes de communiquer entre eux »… « Ce qui le distingue, comme moyen de communication de la parole, c’est que par la parole l’homme transmet à autrui ses pensées, tandis que par l’art, il lui transmet ses sentiments et ses émotions.»… « Les sentiments que l’artiste communique à autrui peuvent être d’espèce divers »…. « Ils peuvent être exprimés par un drame, un roman, une danse ; une marche ; une peinture ou une fable ; toute œuvre qui les exprime est, par cela même, de l’art. Dès que les spectateurs ou les auditeurs éprouvent des sentiments que l’auteur exprime, il y a œuvre d’art.» Léon Tolstoi- Qu’est-ce que l’art – PUF – p.54/55/56
Nous sommes à un tournant de civilisation; depuis la fin du 19ème siècle, l’idée de progrès a été appliquée à tous les domaines de l’existence ( science, politique, technologie…), et l’art n’y a pas échappé. En particulier, la recherche du dépassement du soi et du perfectionnement (que recherche tout artiste pour avancer) a été mis en parallèle (voire confondu) avec le concept de transgression et d’originalité. A mon sens, ce dépassement doit toujours être lié à une maturation intérieure et non pas recherché comme une finalité.
Pour développer un peu plus ma pensée je voudrais citer aussi le poète japonais Hakushu Kitahara : « Pour ce qui est des œuvres d’art, il n’est pas toujours nécessaire d’établir une distinction entre le bien et le mal. Mais on peut distinguer le vrai du faux et le supérieur de l’inférieur. La question est de savoir si l’œuvre d’art exprime ou non l’individualité de l’artiste et si elle a l’éclat d ‘une qualité essentielle ou non. Dans bien des cas l’accent est mis sur l’habileté technique seule plutôt que sur la profondeur spirituelle.. . »
Penser l’art simplement comme une expression de sentiments et d’émotions, me permet de m’inscrire dans une histoire humaine et intemporelle. Voilà pourquoi j’aime citer cette phrase de Pablo Neruda.
Je vous ai connu aux beaux-arts alors que votre travail était assez classique, pourquoi en êtes-vous venue à la peinture abstraite ?
A vrai dire, à présent, abstrait/ figuratif, n’a pas vraiment de signification pour moi. Une peinture détient sa qualité par ce qu’elle exprime et comment elle l’exprime et non pas par ce qu’elle représente.
Est-ce que vos 5 années passées à New York ont eu une incidence sur votre évolution artistique ?
Les cinq ans passés à New York ont influencé radicalement ma conception de l’art.
Beaucoup de facteurs ont joué à ma transformation : le changement de culture, la maturation de la technique dans mon travail, la rencontre avec l’art des enfants, avec le jazz et puis la vie !
Là-bas, j’ai aussi commencé à encadrer des ateliers d’ enfants. J’ai été époustouflée par leur liberté et leur plaisir de peindre et dessiner, (ce travail avec les enfants avec lesquels je continue à travailler, je le considère comme mon musée personnel tant il me ramènent constamment à quelque chose de vivant et de spontané dans l’art et à l’unicité de l’art et de l’être.).
Il y a eu aussi la rencontre avec la peinture américaine (Motherwell, De Koenning) et celle du jazz au travers de la rencontre avec mon futur mari, Vincent.
J’ai fait un parallèle immédiat avec la peinture. Dans cette musique — improvisation sur des thèmes en filigrane — les musiciens réagissent aux impulsions données par l’ensemble du groupe, apparemment sans réflexion consciente. C’est un état proche de la transe, où la confiance en soi est fondamentale et la prise de risque toujours importante. Tout cela m’a fait énormément réfléchir. Le jazz a été une rencontre tout à fait essentielle, une prise de contact avec ce que je crois être l’essentiel de la création artistique.
Aux Beaux-arts de Paris, votre peinture était surtout figurative. Après votre séjour aux Etats-unis
Votre travail a pris un nouveau tournant. Qu’est ce qui a provoqué ce changement?
Il était temps de tourner la page. Beaucoup d’aspects de moi-même étaient mis entre parenthèses et écrasés par ma recherche de rigueur ( même si mon approche de la couleur, du trait et de la pâte picturale échappait fort heureusement à cette rigidité).
J’ai alors commencé à peindre de mémoire en constatant que la charge émotive était plus intense quand je m’éloignais du pouvoir rassurant de l’analyse. J’ai aussi fréquenté pendant un an un atelier de gravure ou l’aspect « bidouille » m’a aidé à créer une distance avec le sujet, puis assez vite j’ai interrogé la trace — la tache — comme signe de l’expression de l’inconscient, m’inspirant du mouvement Cobra et notamment de Joan Miró.
J’ai été assez perdue pendant plus d’1 an ½, incapable de prendre du recul sur ce que je produisais tellement l’approche était différente.
Pour développer votre travail, les bases de peinture classique que vous avez développé sont-elles utiles ?
Comme en jazz, ou la liberté tient à la maîtrise de l’instrument et de la musique. Les bases classiques m’ont structurée et font partie de moi. Je pense que j’ai développé, par mon obstination à décrypter l’espace pictural et la structure interne dans le dessin classique, un fort sens de la composition qui est très présent dans ce que je fais actuellement.
Néanmoins depuis plusieurs année, l’espace que je recherche n’a rien à voir avec celui de la peinture classique. Je cherche à créer un espace ouvert non centripète où l’œil est incité à prolonger l’histoire à l’extérieur du tableau. Je précise que cette transformation s’est faite à mon insu.
Au commencement de votre travail, que ressentez-vous comme sensation par rapport à la toile vierge ?
J’ai souvent le vertige, parfois au point de perdre toute mon intuition. Il y a aussi de la jouissance et ce sentiment du tout possible et du défi. C’est une combinaison mais la toile commence sa vie quand j’ai pu dépasser ma peur et que l’envie de « donner ? » domine.
Avec le grand format, calculez-vous avant la quantité de peinture ainsi que les pigments nécessaires. Est-ce que votre travail est basé sur de l’intuition ?
Il y a beaucoup de préparation manuelle dans mon travail qui est aussi le moment où je rentre dans la peinture. Je tends mes toiles moi-même et je fais très attention au support. La tension de la toile doit me permettre de rebondir et de supporter parfois un geste brusque, ou très long, avec des outils non conventionnels et pas mal d’eau. Si mes outils buttent sur le châssis sous la toile (car je travaille au sol), c’est fichu car le geste est arrêté.
De la même manière, je prépare mes couleurs (à base de pigments) avec une idée à la fois précise et ouverte de ce que je veux faire. J’ai parfois une gamme de couleurs à l’esprit, mais je peux changer d’avis en vue du résultat. Par exemple si je choisis de faire un fond de toile coloré et uni, il doit vibrer suffisamment pour accueillir mon envie de peindre. Je peux le reprendre plusieurs fois afin d’obtenir l’espace coloré que je pressens.
Pour les autres couleurs qui vont se poser par la suite, elles vont dépendre de mon ressentis par rapport au fond. Je prépare alors des pots avec différentes couleurs et viscosités en fonction de mon envie/intuition et d’une idée de ce que je veux faire. Mais au moment de me lancer sur le tableau, J’ai une trame mais c’est l’intuition qui prime tant pour l’utilisation des outils que de la couleur et je m’arrête de penser. Je peux n’utiliser que le quart de ce que j’ai préparé ; la toile m’indique dans l’immédiateté ou il faut que je m’arrête.
Votre peinture est en mouvement. Pouvez-vous nous en parler un peu plus?
Je ne sais pas, c’est une énergie de vie très puissante et un peu folle, non contrôlée qui me dépasse.
Quand je peins, c’est un engagement très physique.
Trois choses sont fondamentales pour moi en peinture : le rythme, l’espace et la lumière.
Le rythme est précurseur ( car tout dans la vie est en rythme). Il relie l’espace et la lumière (qui s’exprime par la couleur en créant des profondeurs). Le rythme dans un tableau est pour moi la résultante du mouvement.
Dans vos peintures, est-ce que votre intuition est liée à vos souvenirs d’enfance ou laisse libre cours à la création ?
Je pense que l’enfance est très importante car elle recueille une palette de sentiments et d’émotions qui nous appartiendront tout le reste de notre vie, en particulier l’émerveillement si on a eu la chance de pouvoir vivre cela.
Mais quand je peins, je ne pense à rien de tout cela. Ma vie s’exprime telle qu’elle est dans l’instant.
L’expérience accumulée crée-t-elle un équilibre dans vos compositions tout en restant libre et unique
L’expérience apporte simplement plus de confiance en soi et d’acceptation de ce que l’on est. A mon sens, la confiance et cette acceptation sont à la base de la création. Sans cela, on reste en dehors du moi.
Néanmoins, rien n’est jamais acquis et chaque nouveau tableau est une nouvelle histoire…
Quelle approche durant ces années a soutenue votre création et avez-vous atteint votre objectif ?
Peindre est une nécessité, je crois que c’est le seul moyen pour moi d’exprimer ce que je suis. Quant aux objectifs… Non, ils ne sont pas atteints, car je n’ai pas fini d’avancer et plus j’avance, plus j’ai l’impression d’avoir tout à découvrir et à apprendre.
Regardant vos peintures, on ressent de multiples émotions, pourriez-vous définir ce que vous souhaiteriez transmettre et dans quel but ?
Comme je l’ai dit précédemment, je n’ai pas de recul par rapport aux émotions dans mes tableaux. Je ne sais pas d’où elles viennent et je n’en connais pas l’impact sauf à en juger par la réaction des personnes qui regardent vraiment.
La peinture est une forme de dialogue avec soi-même puis une fois la toile achevé, avec les autres. J’aimerais transmettre de l’émerveillement, de l’espoir , du courage, tout ce qui m’aide moi-même à vivre. Cependant il s’agit de mon désir profond mais je ne pense à rien de tout cela quand je peins, sinon, je serais symboliste ou didactique. Je crois que, librement, ces sentiments peuvent être communiqués dans la peinture.